VOYAGE DE S. M. ALPHONSE XIII, ROI D'ESPAGNE, EN FRANCE

Au camp de Châlons

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Au camp de Châlons (a)

Cette Série, exécutée spécialement pour la collection particulière de S. M. Alphonse XIII, sera représentée au Palais-Royal, à Madrid, devant la Famille Royale.
Par suite d'autorisations spéciales, cette collection est absolument unique, tant au point de vue de l'intérêt que de la réussite de prise et de la qualité photographique.
Nous pouvons affirmer, sans crainte d'être contredits, que cette SÉRIE ROYALE est l'oeuvre cinématographique la plus remarquable exécutée jusqu'à ce jour.-En offrant cette série à notre clientèle, c'est non seulement une actualité que nous présentons, mais aussi un spectacle qui aura toute la faveur du public et tiendra longtemps un Programme.


L'Industriel forain, Paris, 10 au 17 juin 1905, p. 3.

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1 Warwick Trading Company 2074  
2 Félix Mesguich   
 
SUR LES PAS DU ROI D'Espagne
Fin mai 1905, Alphonse XIII fait une visite officielle à la France.
Mon coupe-file en mains, je dispose mon appareil dans la cour du ministère des Affaires étrangères et je suis à mon poste lorsque les cuirassiers d'escorte précédant le piqueur Troude, franchissent la grille. La daumont entre, décrit une courbe savante et s'arrête devant le perron. Le Roi salue en souriant à la caméra. C'est son premier geste. À cet instant, je pense : « Voilà un roi qui aime le cinéma. »
Je m'attache désormais aux pas du souverain ; je suis à l'Élysée, lorsqu'il rend visite au Président de la République ; au camp de Châlons, quand il assiste aux exercices de tir et à la revue manœuvre des régiments d'artillerie.
Quand cette dernière a pris fin, Alphonse XIII ayant mis pied à terre, rejoint le Président Loubet. Tout le cortège gagne l'estrade dressée sur le terrain. Au moment où le roi avance pour en monter les degrés, un civil en chapeau haut-de-forme, malencontreux à mes yeux, se présente au viseur ; son dos trapu me cache la vue. D'un cri spontané, je l'arrête : « Je vous en prie, monsieur, ne passez pas ! » Alors le Président Loubet - car c'était lui - se tourne vers moi, et, se découvrant, il me dit : « Excusez-moi, cinéma ! je regrette, mais je suis de service ! » Le visage amusé du Président souligne l'ironie spirituelle de son excuse...
J'ai suivi encore le roi d'Espagne à la revue de Vincennes, au carrousel de Saint-Cyr et aux cabrades de l'école de cavalerie de Saumur ; j'étais également près de lui à Versailles. Après la collation servie dans le Petit Trianon, alors- que j'étais placé dans une allée du jardin, sur la route du Hameau, Sa Majesté, qui se promenait en compagnie du conservateur du château, s'arrête, offre une cigarette à M. de Nolhac, frotte son briquet et donne du feu à son interlocuteur, avant d'allumer sa propre cigarette.
On ne pouvait faciliter ma tâche avec plus d'aimable familiarité... Je ne me suis pas trompé, Alphonse XIII a un faible pour le cinéma.
Pour la chasse en forêt organisée à Rambouillet, en l'honneur du souverain espagnol, je suis déjà installé au rendez-vous lorsque arrive le break officiel.
À peine descendu de voiture, alors qu'il passe sa culotte de chasse, le Président Loubet m'aperçoit en train de tourner. J'entends encore son exclamation : « Ah ! ça non ! cinéma ! Laissez-moi au moins mettre ma culotte sans témoin ! » Tout l'entourage s'amuse de cette répartie. Un brave général, qui s'est mis devant le Président pour lui servir de paravent, me dit en riant : « Vous oubliez le protocole, monsieur l'opérateur ! »
Maintenant, le roi d'Espagne est à l'affût dans les tirés. Pan ! Un coup part, un faisan tourbillonne, perd quelques plumes et s'envole. Manqué ! Mais je n'oublie pas qu'Alphonse XIII a été pour moi « très chic » ; à ton tour de faire quelque chose pour Sa Majesté.
Mon sac est rempli de faisans tués. Le roi épaule ; pan ! un oiseau tombe. Chaque coup fait une victime, toujours dans le champ de la prise de vue. Pan ! pan ! encore deux coups de feu et en voilà deux autres par terre. Il arrive même que sur une seule détonation deux bêtes soient abattues. Pendant que j'actionne la manivelle d'une main, de l'autre j'envoie en l'air un faisan, dont j'enregistre la chute au moment où il s’abat aux pieds du chasseur royal.
De temps en temps, celui-ci m'adresse un sourire en coin. Puis, je le vois viser mon installation. Sans s'émouvoir, je continue. Il avance de plus en plus, jusqu'à ce que son œil vienne se plaquer sur l'objectif. Ne pouvant aller plus loin, il s'arrête pour me dire : « J'espère que je n'ai pas trop mal tiré ? »
Le soir même, sur l'air du Bon Roi Dagobert, le Président Loubet mettait sa culotte de chasse devant le public des Folies-Bergère qui l'applaudissait à tout rompre. Les coups de feu se mêlaient aux bravos, mes faisans - ceux d'Alphonse XIII - tombaient parmi les exclamations des spectateurs enthousiasmés d'une pareille adresse. On riait de plus belle à mesure que le souverain grandissait sur l'écran, de telle sorte que celui-ci, malgré une superficie de trente mètres carrés était à peine suffisant pour contenir d'abord le visage du roi, puis son œil et sa bouche, devenus gigantesques.

Félix Mesguich, Tours de manivelle, Paris, Grasset, 1933, p. 82-84.

 
3 01/06/1905 85 m
4 France, Mourmelon, Camp de Châlons  

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2074 01

Félix Mesguich, Tours de manivelle, Paris, Grasset, 1933, p. 66/67.

 

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